La Mirage est un mirage
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L’épopée du team JW Automotive soutenu par le pétrolier
Gulf s’est achevée au soir des 24 Heures du Mans 1975, remportées par la
Gulf-Ford GR8 du tandem Ickx-Bell. Mais les deux châssis GR8 ont poursuivi une
longue carrière. Ils reviendront encore quatre fois au Mans, sous les couleurs
du team Grand Touring Cars (GTC) de l’Américain Harley
Cluxton. Soit avec des Cosworth DFV, soit avec des V6 Renault Turbo.
Mais l’avènement du Groupe C en 1982 donne envie à Cluxton de revenir dans
la Sarthe. Il réussit à convaincre John Horsman, initialement pas très chaud.
L’ingénieur historique des Mirage a de sérieux doutes sur le 3,9 litres DFL (L
pour « long distance ») développé par Cosworth pour l’endurance sur
la base du vénérable DFV.
Horsman pilote l’élaboration de la Mirage M12. Il se charge de l’étude
aérodynamique de cette monocoque à effet de sol et de la fabrication de la
carrosserie, alors que le châssis et la suspension sont construits en
Angleterre chez Tiga, la firme fondée par les deux anciens pilotes de F1, Tim
Schenken et Howden Ganley. C’est un tout jeune ingénieur d’à peine 23 ans qui
se charge de concevoir la voiture. Il s’appelle Mike Coughlan, on le verra
ensuite dans plusieurs écuries de F1 (Lotus, Benetton, Tyrrell, …), puis au
poste de designer en chef chez McLaren en 2002.
Pour occuper le siège baquet, Cluxton a réussi un joli
coup : il s’est attaché les services de Mario Andretti. L’Italo-américain
n’est plus revenu dans la Sarthe depuis 1967. Mais il veut ajouter à son
palmarès la classique mancelle. Et il veut gagner Le Mans avec son fils aîné,
Michael, qui démarre alors à 19 ans une belle carrière.
Le temps est compté. Ce n’est qu’en janvier 1982 que
Horsman prend livraison du châssis à Scottsdale, base de l’écurie GTC en
Arizona. Avec quand même une bonne surprise : hormis quelques légers
ajustements, la carrosserie s’adapte sans problème au châssis conçu à plus de
8 000 km de là.
Le 15 mars la Mirage M12 est amenée à la soufflerie Lockheed en Géorgie pour une étude fine de la circulation d’air autour de la carrosserie.
Un mois plus tard à Riverside, Mario et Michael mènent les
premiers essais dynamiques, sous les yeux du vétéran John Morton qui est
pressenti pour conduire une hypothétique seconde voiture. Enfin, le 22 mai la
voiture atteint 341 km/h sur l’ovale du Transportation Research Center dans
l’Ohio.
Le pesage et les vérifications techniques sur la place des Jacobins sont
l’occasion de quelques discussions avec les commissaires techniques, qui voient
arriver de toutes nouvelles voitures avec chacune une façon d’interpréter le
nouveau règlement du Groupe C. La Mirage M12 a droit à quelques remarques
négatives sur ses surfaces vitrées et son fond plat, mais rien de rédhibitoire
a priori. Elle peut donc participer aux essais. Et elle y démontre une belle
pointe de vitesse sur les Hunaudières : 342 km/h.
Au final, Mario Andretti décroche le 9e temps en 3’37’’09. C’est le 3e temps des Cosworth derrière la
Ford C100 de Klaus Ludwig (3’32’’50) et la Sauber de Stuck (3’33’’25). Une
belle performance quand on sait que la Mirage M12 dépasse largement le poids
minimum imposé de 800 kg : 936 kg !
Après une longue journée achevée dans la nuit, l’équipe se lève tôt le
samedi matin pour le warm-up nouvellement institué. La Mirage effectue 8 tours
puis l’on attend 16h00.
John Horsman, vers 14h30 un homme vient le voir avec à la
main une page issue d’un cahier de règles techniques de la FIA. Il lui demande
où sont les radiateurs d’eau et d’huile sur la Mirage. Horsman les lui montre
et l’homme s’en va. Une demi-heure plus tard, Horsman est convoqué à la
direction de course. Là, on lui dit que les radiateurs d’huile ne sont plus à
la même place que lors du pesage : ils sont positionnés en porte-à-faux
derrière la boîte de vitesses, ce qui est illégal. Il faut donc les déplacer, faute
de quoi la Mirage M12 ne pourra pas prendre le départ.
Horsman répond que rien n’a changé depuis le pesage. Et il demande fort
logiquement pourquoi cette disposition n’a pas été remarquée lors des
vérifications techniques. On lui répond qu’on ne s’occupait alors que des
questions de sécurité. Mais quand il demande sur quelle base on le pénalise, on
lui répond que ces radiateurs sont positionnés de façon dangereuse !
Quand John Horsman retourne à son stand vers 15h30, il a encore l’espoir
de modifier le montage litigieux et de faire partir la voiture après tout le
monde. Mais à 15h45, 15 minutes avant le départ, les officiels obligent Mario
Andretti, déjà casqué et sanglé, à s’extraire de la voiture. Celle-ci est
ensuite dirigée manu militari vers le paddock. Et les Américains sont invités à
quitter leur stand au profit de la Porsche 924 suppléante.
Horsman endosse la responsabilité du montage illégal. Le châssis d’origine
construit par Tiga répondait au règlement avec un radiateur dans un caisson
latéral. Mais Horsman modifia ce montage suite aux essais, Mario Andretti
s’étant plaint d’une chaleur excessive dans l’habitacle. Il subdivisa le
radiateur en deux éléments positionnés à l’arrière de la voiture. Dans la hâte
de terminer la voiture à temps, Horsman négligea de vérifier la légalité
technique de cette solution.
Evidemment, toute l’équipe est dévastée par ce qui lui apparaît comme une
injustice. Certes, la position des radiateurs est fautive, mais il s’en faut de
seulement 5 cm selon Horsman. Celui-ci est persuadé qu’un concurrent
« bien intentionné » a alerté l’ACO sur ce détail qui était passé
inaperçu lors du pesage. Et que ce point litigieux n’a fait qu’aggraver un
dossier déjà lourd des interprétations du règlement qui ont fait tiquer les
commissaires techniques lors du pesage.
Harley Cluxton ne remettra jamais les pieds au Mans.
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